Guide rapide sur l’utilisation de la première personne dans un écrit académique
Les consignes relatives à l’utilisation de la première personne (« je », « nous », « mon », etc.) dans les mémoires, les thèses ou les rapports de stage varient en fonction des disciplines, et parfois au sein même d’une discipline. Les experts se divisent notamment sur le sujet de l’utilisation de la première personne dans les mémoires et écrits scientifiques (sciences dures), qui, autrefois, l’évitaient dans la plupart des cas.
Cette absence de règle standard sur l’utilisation de la première personne met les correcteurs dans une situation difficile lorsqu’ils abordent un texte. Quelles disciplines acceptent la première personne et dans quelle mesure ? Quels objectifs la première personne peut-elle poursuivre de manière acceptable ?
Ce guide rapide a été élaboré avec ces questions en tête, en compulsant les articles académiques sur le sujet de l’usage de la première personne dans les différentes disciplines académiques (cf. bibliographie). Il devrait vous fournir des conseils pour réfléchir à ce qui est acceptable ou pas en matière d’emploi de la première personne dans les textes académiques.
Cet article se penche sur les usages généraux de la première personne, aborde les différences entre les disciplines, et, avec cela en tête, examine diverses manières de justifier les décisions éditoriales en ce qui concerne l’utilisation de la première personne.
L’utilisation de la première personne dans un document académique
La première personne a de nombreux usages acceptables dans différentes disciplines. Elle est généralement utilisée pour établir un ton approprié, pour indiquer l’organisation d’un document, pour distinguer le travail de l’auteur, et pour expliciter des affirmations et des méthodes. Dans les articles de recherche académique publiés dans une vaste gamme de disciplines, la première personne apparaît dans les cas suivants :
Communiquer un ton approprié
- Pour aider à signaler les affirmations perçues par l’auteur comme des idées que le public pourrait ne pas être prêt à accepter (« je crois que… »).
- Pour se protéger (« je soupçonne que… »).
- Pour établir une sorte d’intimité avec le lecteur d’un texte difficile, de manière à présenter l’auteur comme attentionné et à mettre le lecteur dans de bonnes dispositions pour qu’il poursuive sa lecture.
- Le « je » pour établir une relation maître-élève, le « nous » pour établir un terrain de jeu plus équilibré.
- Pour mettre en avant l’auteur comme un expert dans le domaine.
- Pour éviter l’hypothèse implicite selon laquelle le lecteur serait forcément d’accord avec les arguments avancés (« selon moi, … »).
Organiser le texte
- Pour organiser le texte et guider le lecteur tout au long du raisonnement (« Tout d’abord, nous… »).
- Pour faire ressortir des procédures et des méthodologies (« Dans un premier temps, nous avons testé… »).
Se positionner par rapport à d’autres sources
- Pour identifier le travail personnel de l’auteur, par distinction avec le travail d’autres personnes (« Tandis que le professeur X a étudié y, pour notre part, nous nous intéresserons à… ») — c’est-à-dire pour poser le fait que le travail de l’auteur est unique.
- Pour revenir sur les travaux précédents du chercheur (« En se basant sur mon enquête précédente, [auto-citation], cette étude… »).
- Pour discuter les conclusions d’autres chercheurs (« Les résultats de nos travaux suggèrent que les études précédemment menées dans ce domaine ont omis… »).
Expliciter des affirmations et des actions
- Pour signaler des opinions personnelles et des affirmations de savoirs (« Sur la base de ces résultats, nous pouvons affirmer que… »).
- Pour décrire une procédure, une méthodologie expérimentale (« Nous avons interviewé 60 personnes en l’espace de plusieurs mois… »).
Controverse persistante et distinction sciences dures/sciences molles
Néanmoins, l’usage de la première personne reste un sujet controversé dans certaines disciplines, et la fréquence à laquelle elle est utilisée varie d’une discipline à l’autre. Il est utile ici de faire la distinction entre les sciences dites « dures » et les sciences « molles » (bien que la distinction ne soit pas absolue). Les sciences dures correspondent aux matières scientifiques au sens commun, et les sciences molles aux sciences humaines et sociales.
Traditionnellement, on évite l’usage de la première personne dans les sciences dures, tandis qu’on l’utilise plus fréquemment dans les sciences molles.
Selon certains chercheurs, les sciences dures éviteraient l’usage de la première personne pour :
- Maintenir un ton objectif (par exemple, l’idée que n’importe qui devrait être capable de reproduire une expérience et obtenir les mêmes résultats).
- Rester concentré sur le contenu plutôt que sur l’auteur (c’est-à-dire, respecter les priorités) ;
- Garder une distance entre l’auteur et les découvertes qui sont faites (car, si ces découvertes sont finalement invalidées, la distance est bénéfique pour l’auteur).
Les rédacteurs scientifiques évitent souvent l’usage de la première personne en recourant à la voix passive, avec le sujet grammatical « il » (par exemple, « Il est apparu que… »), ou en utilisant un autre sujet (par exemple, « Nous avons montré que… » devient « Cette étude a montré que… »), voire le pronom indéfini « on » (« On observe que… »).
D’un autre côté, un certain nombre de facteurs semblent jouer en faveur d’une tendance à un emploi plus fréquent de la première personne dans les sciences.
- Tout d’abord, de nombreux experts de la rédaction ont pris conscience d’un emploi excessif de la voix passive, gênante pour son caractère ambigu. Rayant ainsi la voix passive de la liste des alternatives acceptables, ces rédacteurs considèrent que la première personne permet de clarifier le qui fait quoi dans les phrases, en levant les ambiguïtés éventuelles. En fait, les trois stratégies ci-dessus tendent à générer des syntaxes plus complexes (et moins claires) dans les écrits scientifiques, quand des syntaxes plus simples (et plus claires) seraient possibles avec l’emploi de la première personne.
- De plus, certains chercheurs ont suggéré que le contexte de concurrence accrue dans le monde académique a renforcé l’attrait d’une auto-promotion via l’usage de la première personne.
Recommandations pour les correcteurs sur l’utilisation de la première personne
Ainsi, la première personne peut aujourd’hui se rencontrer dans les mémoires ou plus généralement les travaux académiques publiés que ce soit dans les sciences dures ou dans les sciences molles. Cependant, son emploi varie d’une discipline à l’autre. Les disciplines collaboratives préféreront le « nous », tandis que les disciplines plus individuelles préféreront le « je ».
Le contenu dont traite une discipline dictera la fréquence d’emploi de la première personne. Il semble également exister des préférences spécifiques aux différentes langues : l’anglais tend à préférer l’emploi du « je », le norvégien celui du « nous », tandis que le français essaie généralement d’éviter l’emploi de la première personne.
Vous trouverez ci-dessous quelques remarques complémentaires qui vous aideront à décider si l’emploi de la première personne, dans un écrit donné, est à conserver ou, au contraire, à corriger.
Distinctions entre les disciplines
De manière générale, la distinction entre sciences dures et sciences molles est utile lorsque l’on réfléchit au niveau acceptable en matière d’emploi de la première personne. Même s’il n’est plus tabou d’utiliser la première personne dans les sciences dures, ces dernières auront tendance à moins l’utiliser que les sciences molles.
Le tableau ci-dessous représente cette distinction sur un spectre.
Les domaines de la médecine, de la biologie et de l’ingénierie mécanique ont tendance à éviter l’emploi de la première personne, tandis que la sociologie, la philosophie, et les études littéraires tendent à l’utiliser plus fréquemment.
Bien que l’on ne puisse affirmer que la première personne n’est jamais utilisée dans une thèse de médecine, l’on pourra dire que quelque chose ne va pas si son emploi est très fréquent et sans bonne raison apparente. Autre considération à prendre en compte : les textes qui fraye un chemin à travers un contenu théorique complexe auront tendance à utiliser davantage la première personne (par exemple, les mathématiques).
Contenu et contexte
Lorsqu’un auteur s’implique personnellement pour résumer et réfuter un point de vue adverse, la première personne est importante pour aider le lecteur à distinguer les différents argumentaires et bien identifier les auteurs qui s’en réclament.
Cela signifie que plus le nombre de références à d’autres auteurs et à leurs idées est élevé, plus l’emploi de la première personne semble être acceptable pour distinguer la voix et les idées du rédacteur.
De plus, certaines parties d’un mémoire ont tendance à utiliser la première personne plus fréquemment et dans différents objectifs. Dans l’introduction, la première personne est communément utilisée pour identifier le projet de l’auteur et la structuration de son texte.
On peut utiliser la première personne dans la partie « Méthodologie » pour décrire une expérimentation, de même que pour décrire les résultats dans la partie « Résultats ». Les parties « Discussion » et « Conclusion » peuvent avoir besoin de mettre en contraste le travail de l’auteur par rapport à d’autres travaux.
À retenir
Vous trouverez ci-dessous un ensemble de règles générales à garder à l’esprit lorsque vous avez affaire à la première personne.
- Le point principal d’attention devrait être le sujet du travail plutôt que l’identité personnelle de l’auteur ; à cet égard, la première personne peut être employée à mauvais escient. En d’autres termes, la première personne peut être utilisée de manière excessive même dans les disciplines qui l’utilisent le plus souvent.
- Chaque fois que la première personne est employée, posez-vous la question de sa fonction. On a souvent considéré que la mention « je pense », par exemple, est redondante, puisque tout auteur est évidemment en train de partager ses pensées avec son lecteur. Cela dit, « je pense » peut parfois aider à prendre une certaine distance avec une affirmation ou à distinguer la pensée de l’auteur de celle des autres. En cas de doute, vérifiez l’usage de la première personne sur la base de la liste fournie ci-dessus. Si la première personne ne remplit pas une fonction claire, son emploi devra faire l’objet d’une correction.
- Lorsque vous insérez ou modifiez un pronom personnel pour essayer de clarifier une phrase, demandez-vous si vous pouvez savoir avec certitude quel pronom est requis. Dans la phrase « Des tests ont été réalisés pour vérifier x », par exemple, on ne sait pas si l’auteur fait référence à ses propres travaux ou aux travaux d’autres chercheurs – la correction pourrait donc être « Des chercheurs ont réalisé des tests… » ou « nous avons réalisé des tests… ».
- Lorsque vous proposez une correction ou ajouter des pronoms, ayez en tête la différence entre « je » et « nous ». Pour une étude réalisée collaborativement, il peut être inapproprié d’utiliser le « je » (certaines parties d’une thèse dans une discipline collaborative peuvent provenir d’articles publiés que l’auteur a co-écrit avec d’autres auteurs).
- Enfin, et c’est probablement le point le plus important, faites attention aux tendances. L’emploi de la première personne est controversé en partie parce que son utilisation dans un papier donné dépend du style de rédaction de l’auteur, et donc des styles de rédaction de ses directeurs de mémoire / mentors. Par exemple, certains directeurs de mémoire dans les sciences dures seront attachés à la tradition de l’emploi de la première personne (l’éviter !), et pourraient faire des objections sans chercher à savoir si l’usage de la première personne est globalement accepté ou non dans la discipline. Utilisez les recommandations ci-dessus et la liste des emplois de la première personne pour vous aider à orienter vos corrections, mais si un auteur n’utilise jamais la première personne, il s’agit presque toujours d’un parti pris. Dans ce cas, les préférences stylistiques de l’auteur doivent être respectées.
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